La suppression de l’aide sociale pour violation du devoir de collaborer doit faire l’objet d’une décision formelle sujette à recours

Résumé

Sieur A bénéficie de l’aide sociale alors que sa compagne, Dame B, est bénéficiaire d’une rente AI et des prestations complémentaires (ci-après PC). Informé de leur intention de se mettre en ménage, le service social de la Chaux-de-Fonds (ci-après le Service) signale en janvier 2021 à Sieur A que la famille constituera désormais une seule entité d’assistance et que, par conséquent, les revenus de Dame B seront pris en compte. Le Service demande également à Sieur A de lui fournir des documents et lui fixe un délai pour les transmettre. Un enfant nait en février 2021. Dès le 1er mars 2021 le Service ne verse plus d’aide. Il poursuit néanmoins ses investigations en envoyant à Sieur A un document à faire signer à Dame B, ce qu’elle ne fait pas. Puis le Service indique son intention de supprimer l’aide matérielle tout en donnant à Sieur A la possibilité de faire valoir son droit d’être entendu jusqu’au 27 juin 2021. Par décision du 30 juin 2021, qui se croise avec les observations de Sieur A du 1er juillet, le Service supprime l’aide sociale rétroactivement au 28 février 2021 dès lors que la situation d’indigence de la famille ne peut pas être établie. Sieur A conteste la suppression de l’aide sociale jusqu’au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne partiellement raison.

Le TF rappelle d’abord qu’en dépit de pratiques cantonales différentes il n’est pas arbitraire de tenir compte d’une situation de concubinage stable dans l’octroi de prestations sociales versées sous condition de ressources. En revanche il ne tranche pas la question de savoir si la prise en compte des PC du ou de la partenaire viole le droit fédéral car, dans le cas qui nous occupe, l’aide sociale n’a pas été supprimée pour ce motif mais à cause de la violation de l’obligation de renseigner. A cet égard, le TF expose que le devoir de collaborer ne peut pas être soumis à des exigences trop élevées du fait que les bénéficiaires de l’aide sociale sont souvent vulnérables pour des raisons psychiques, physiques ou sociales. Néanmoins la suppression des prestations d’aide matérielle à une personne qui refuse de fournir les données et documents pertinents n’est pas critiquable sur le principe. La décision de suppression de l’aide sociale à Sieur A est annulée parce que le Service a mis fin aux versements de façon informelle, avec effet immédiat par une décision rétroactive sur plusieurs mois. Le TF rappelle que la suppression de prestations d’aide sociale met en péril le droit constitutionnel à des garanties minimales d’existence (art. 12 Cst.) et qu’une mesure aussi tranchante dans un contexte aussi délicat doit être prononcée par une décision formelle, sujette à recours. Cette décision peut prévoir que le recours sera dépourvu d’effet suspensif mais il est contraire au droit de supprimer de façon informelle les prestations d’un·e bénéficiaire qui ne remplit pas ses obligations de renseigner. La cause est renvoyée à l’autorité pour qu’elle réexamine le droit aux prestations.

Commentaire 

Cet arrêt nous rappelle que la population dépendante de l’aide sociale est fragile et qu’elle doit être protégée contre des exigences trop élevées en matière de collaboration administrative. Espérons que ce rappel à la clémence arrivera aux oreilles des Services qui appliquent sévèrement l’obligation de collaborer.

Référence

8C_307/2022 du 4 septembre 2023 publié aux  ATF 149 V 250  et RMA 1/24 RJ 41-24 Communiqué de presse du TF (03.10.23)